Aller au contenu principal

José Afonso • Fui à beira do mar

25 avril 2024

Il y a cinquante ans aujourd’hui, le 25 avril 1974, avait lieu au Portugal la Révolution des œillets, qui mettait fin au régime de dictature en place depuis le coup d’état militaire de 1926. 48 ans.

Comment est la fête du cinquantenaire ? Car l’extrême-droite a réalisé une percée spectaculaire aux élections législatives anticipées du 10 mars dernier : 50 sièges sur les 230 de l’Assemblée de la République, soit quatre fois plus qu’au scrutin précédent (2022).

Fui à beira do mar (« Je suis allé sur le rivage »), publiée avant la Révolution des œillets, était une chanson d’espérance. Elle est extraite du très bel album Eu vou ser como a toupeira (« Je serai comme la taupe »), enregistré à Madrid en novembre 1972, publié en décembre de la même année.

José Afonso (1929-1987)Fui à beira do mar. José Afonso, paroles & musique.
José Afonso, chant ; instrumentistes non identifiés.
Enregistrement : Madrid (Espagne), studios Celada, du 6 au 13 novembre 1972.
Extrait de l’album Eu vou ser como a toupeira / José Afonso. Portugal, Orfeu, ℗ 1972.

Fui à beira do mar
Ver o que lá havia
Ouvi uma voz cantar
Que ao longe me dizia

Je suis allé sur le rivage
Voir ce qui s’y trouvait.
Là une voix chantait,
De loin elle me disait :
Ó cantador alegre
Que é da tua alegria
Tens tanto para andar
E a noite está tão fria

« Ô toi joyeux chanteur,
Qu’en est-il de ta joie ?
Ton chemin est si long
Et la nuit est si froide ! »
Desde então a lavrar
No meu peito a Alegria
Ouço alguém a bradar
Aproveita que é dia

Depuis, la joie
Se répand dans mon cœur
Et j’entends quelqu’un crier
« Profite du jour qui vient ! »
Sentei-me a descansar
Enquanto amanhecia
Entre o céu e o mar
Uma proa rompia

Je me suis assis pour me reposer
Tandis que le jour se levait.
Entre le ciel et l’eau
Une étrave fendait les flots.
Desde então a bater
No meu peito em segredo
Sinto uma voz dizer
Teima, teima sem medo

Depuis, frémissant
En secret dans mon cœur,
J’entends une voix qui dit
« Persévère, n’aie pas peur ! »
Desde então a lavrar
No meu peito a Alegria
Ouço alguém a bradar
Aproveita que é dia

Depuis, la joie
Se répand dans mon cœur
Et j’entends quelqu’un crier
« Profite du jour qui vient ! »

José Afonso (1929-1987). Fui à beira do mar. José Afonso (1929-1987). Je suis allé sur le rivage, traduit de : Fui à beira do mar par L. & L.

La chanson du dimanche [51]

21 avril 2024

Impeccable.

Les frères JacquesMonsieur Lepetit, le chasseur. Jean-Claude Massoulier, paroles ; César Gattégno, musique.
Les frères Jacques, quatuor vocal ; orchestre sous la direction de Hubert Degex.
Enregistrement : Paris, Comédie des Champs-Élysées.
Extrait de l’album Les fesses / Les frères Jacques. France, Arion, ℗ 1975.

Le samedi matin, lorsque point l’aurore,
Monsieur Lepetit, le chasseur
Embrasse tendrement sa femme qui dort,
Prend son grand fusil à vapeur,

Sa grande carnassière en peau de banane,
Son chien médaillé comme un sauveteur
Et s’en va chasser la zippopotame
Et la souris blanche en Seine-Inférieure.

La femme du chasseur,
Dans son grand lit blanc,
La femme du chasseur
Accueille son amant :
« Bonjour, mon grand ! »

Ils prennent du café
Avec des croissants,
Ils s’font des baisers
Et ils sont contents.

Taïaut, taïaut, taïaut !

En Seine-Inférieure, quand vient l’crépuscule,
Monsieur Lepetit, le chasseur
S’fait photographier sur un monticule
Et prend des poses d’artilleur,

Sur un monticule de puces géantes,
De rhinoféroces et d’anacondas
Et à l’auberge du zéléphant qui chante,
Notre homme s’endort d’un sommeil de bois.

La femme du chasseur,
Dans son grand lit blanc,
La femme du chasseur
Raccueille son ramant :
« R’bonjour, mon r’grand ! »

Ils reprennent du r’café
Avec des r’croissants,
Ils s’refont des r’baisers
Et ils sont r’contents.

R’taïaut, r’taïaut, r’taïaut !

Le dimanche soir, quand tombe la nuit,
Monsieur Lepetit, le chasseur
Retrouve sa femme qui tricote pour lui
Une gaine de fusil-mitrailleur.

Il jette sur la table un zippopotame,
Un rhinoféroce, un lapin zénorme
Et d’sa carnassière, il tire pour sa femme
Une extraordinaire paire de cornes.

La femme du chasseur,
Dans son grand blanc lit,
La femme du chasseur
Accueille son mari :
« Bonsoir, mon petit ! »

Comme il est flapi,
Notre homme s’endort
Dans le grand blanc lit
En berçant Médor.

Taïaut, taïaut, taïaut !

Mais l’samedi d’après, quand repoint l’aurore
Monsieur Lepetit, le chasseur
Rembrasse tendrement sa femme qui dort
Reprend son fusil à r’vapeur

Sa grande carnassière en peau de r’banane
Son chien médaillé comme un resauveteur
Et s’en va chasser la zippopotame
Et la souris blanche en Seine-Inférieure

Jean-Claude Massoulier (1932-2009). Monsieur Lepetit, le chasseur.

Donovan • Widow with a shawl (a portrait)

20 avril 2024

Donovan (né en 1946)Widow with a shawl (a portrait). Donovan Leitch, paroles & musique.
Donovan, chant & guitare.
Enregistré en direct et en concert au Anaheim Convention Center, Anaheim, Californie, États-Unis, le 17 novembre 1967.
Extrait de l’album Donovan in concert. Royaume-Uni, Pye Records, ℗ 1968.

J’avais ce disque quand j’étais adolescent, en Bretagne, dans la maison qui regardait la mer. J’aimais sa pochette et plus encore son contenu, tout particulièrement cette chanson-là : Veuve avec châle (portrait). L’accent écossais de Donovan — qui devait paraître bien exotique à son public californien — m’enchantait, que ce soit dans sa présentation de la chanson :

This next song, you must imagine, takes place in the 18th century, in England somewhere. And this song tells the story of a young lady who is lamenting her lover who has gone to sea. This is in the days of the sailing ships and when they went to sea, they went away for a long time. 25 years, maybe 30 years. Well this is a widow; she supposes she’s a widow and she’s walking along the beach and this is her song.
Donovan Leitch (né en 1946). Présentation de la chanson Widow with a shawl (a portrait), Anaheim Convention Center, Anaheim, Californie, États-Unis, le 17 novembre 1967.

La prochaine chanson, il faut imaginer qu’elle se passe au 18e siècle, quelque part en Angleterre. Elle raconte l’histoire d’une jeune femme pleurant son amoureux qui a pris la mer. Ce sont les temps de la marine à voile et quand ils s’embarquaient, c’était pour de longues périodes. 25 ans, 30 ans peut-être. Elle est veuve, ou du moins elle suppose qu’elle l’est. Elle marche le long de la plage et voici sa chanson.
Traduction L. & L.

que dans la chanson elle-même :

Dear wind that shakes the barley free
Blow home my true love’s ship to me, fill her sail
I a-weary wait upon the shore.

Bon vent qui passe dans les épis,
Ramène-moi la nef de mon amour, gonfle sa voile,
Je suis si lasse d’attendre sur le rivage !
Forsake her not in times of storm
Protect her oaken beams from harm, fill her sail
I a-weary wait upon the shore.

Ne l’abandonne pas dans l’ouragan,
Protège ses mâts de chêne, gonfle sa voile,
Je suis si lasse d’attendre sur le rivage !
Whether he be in Africa
Or deep asleep in India, fill his dreams
I a-weary wait upon the shore.

Et qu’il parcoure l’Afrique,
Ou qu’il s’endorme en Inde, exauce ses rêves.
Je suis si lasse d’attendre sur le rivage !
And in my chariot of sleep,
I ride the vast and dreamy deep deep sea.
I awake a-weary on the shore.

Et dans le char de mon sommeil,
Je parcours en rêve la vaste mer profonde.
Exténuée, je m’éveille sur le rivage.
Dear snow white gulls upon the wave
I like you am lamenting for my love.
I a-weary cry upon the shore.

Ô blanches mouettes sur la vague,
Comme vous je me lamente sur mon amour,
Je suis si lasse et je pleure sur le rivage !
Seven years and seven days,
No man has seen my woman ways, dear God.
I a-weary cry upon the shore.

Voici sept ans et sept jours
Que nul homme ne m’a regardée, Seigneur !
Je suis si lasse et je pleure sur le rivage !
Along the shingled beach I go
The wind about me as I make my way
To my weary dream upon my bed.

Le long des galets de la plage,
Le vent m’enveloppe et je marche
Vers ma couche et vers mon rêve las.
Dear wind that shakes the barley free
Blow home my true love’s ship to me, fill her sail.
I a-weary wait upon the shore.

Bon vent qui passe dans les épis,
Ramène-moi la nef de mon amour, gonfle sa voile,
Je suis si lasse d’attendre sur le rivage !

Donovan Leitch (né en 1946). Widow with a shawl (a portrait) (1967). Donovan Leitch (né en 1946). Veuve avec châle (portrait), traduit de : Widow with a shawl (a portrait) (1967) par L. & L.

José Afonso • Ó minha amora madura

18 avril 2024

Ó minha amora madura
Ai, diz-me quem te amadurou
Foi o sol, foi a geada
Ai, foi o calor que ela apanhou

Traditionnel (Alentejo, Portugal)

Oh ma mûre bien mûre,
Dis-moi qui t’a fait mûrir !
C’est le soleil, c’est la froidure
C’est la chaleur qu’elle a reçue !
Traditionnel (Alentejo, Portugal). Traduction L. & L.

José Afonso (1929-1987)Ó minha amora madura. Paroles & musique traditionnelles (Alentejo, Portugal) ; José Afonso, arrangement.
José Afonso, chant ; instrumentistes non identifiés.
Enregistrement : Madrid (Espagne), studios Celada, du 6 au 13 novembre 1972.
Extrait de l’album Eu vou ser como a toupeira / José Afonso. Portugal, Orfeu, ℗ 1972.

Cette petite chanson traditionnelle de l’Alentejo n’est guère représentative du caractère général de l’album Eu vou ser como a toupeira (« Je serai comme la taupe ») dont elle fait partie. Paru en 1972, une période où José Afonso ne pouvait pratiquement plus se produire au Portugal, l’album recèle quelques titres particulièrement graves, notamment A morte saiu à rua (« La mort est sortie dans la rue »).

Bien sûr, les paroles ont un double sens : amora (« mûre » [le fruit]) est tellement proche de amor (« amour »)… « Qui t’a fait mûrir » peut (doit ?) s’entendre autrement. D’ailleurs d’autres versions comportent plusieurs strophes, plus explicites. Par exemple :

Ó minha amora madura
quem foi que te amadurou?
Foi o sol e a geada
e o calor que ela apanhou.

Oh ma mûre bien mûre,
Ah dis-moi qui t’a fait mûrir !
C’est le soleil, c’est la froidure
C’est la chaleur qu’elle a reçue !
E o calor que ela apanhou
debaixo da silveirinha;
Ó minha amora madura
minha amora madurinha.

C’est la chaleur qu’elle a reçue
En-dessous des ronciers ;
Oh ma mûre bien mûre,
Ma petite mûre bien mûre.
Há silvas que dão amoras
há outras que as não dão
há amores que são leais
e há outros que o não são

Certaines ronces donnent des mûres,
D’autres n’en donnent pas.
Certaines amours sont fidèles
Et d’autres ne le sont pas.

Traditionnel (Alentejo, Portugal). Ó minha amora madura. Traditionnel (Alentejo, Portugal). Oh ma mûre bien mûre, traduit de : Ó minha amora madura par L. & L.

Amália Rodrigues • Partindo-se

16 avril 2024

Les musiques composées par Alain Oulman sur la poésie médiévale et celle de la Renaissance sont parmi ses plus belles, je trouve. Ainsi en va-t-il de celle destinée à la « cantiga » (« chanson ») Partindo-se de João Roiz (ou Rodrigues) de Castelo Branco, un gentilhomme de la maison royale, né vers 1450, mort à Castelo Branco, dans le centre-est du pays, après 1515.

Amália Rodrigues (1920-1999)Partindo-se. Poème de João Roiz de Castelo Branco ; Alain Oulman, musique.
José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare.
Enregistrement : Portugal, Paço de Arcos (Lisbonne), studios Valentim de Carvalho, 22 novembre 1968.
Première publication dans le coffret de 8 CD Amália 50 anos. CD 2, Os poetas. Portugal, EMI, ℗ 1989.

Senhora*, partem tão tristes
meus olhos por vós, meu bem,
que nunca tão tristes vistes
outros nenhuns por ninguém.

Madame*, ils sont si tristes,
Mes yeux, mon amie, qui ne vous verront plus,
Que jamais nul ne vit
D’yeux si tristes pour personne.
Tão tristes, tão saüdosos,
tão doentes da partida,
tão cansados, tão chorosos,
da morte mais desejosos
cem mil vezes que da vida,
partem tão tristes os tristes,
tão fora de esperar bem,
que nunca tão tristes vistes
outros nenhuns por ninguém.

Si tristes, si affligés,
Si navrés de partir,
Si las, si pleins de larmes,
Aspirant plus à la mort
Cent mil fois qu’à la vie,
Ils partent si tristes ces yeux tristes,
Si loin d’espérer bonne fortune,
Que jamais nul ne vit
D’yeux si tristes pour personne.

João Roiz de Castel-Branco (14??-après 1515). Cantiga, Partindo-se (15e siècle).
* Chanté : « Senhor » (« Seigneur »)
João Roiz de Castel-Branco (14??-après 1515). Chanson « Les adieux », traduit de : Cantiga, Partindo-se (15e siècle) par L. & L.
* Chanté : « Senhor » (« Seigneur »)

Partindo-se, qui pourrait se traduire par « Les adieux », « La séparation », est extrait du Cancioneiro geral (1516), le premier recueil de poésie portugaise imprimé au Portugal, compilé par le chroniqueur, poète et musicien Garcia de Resende (1470?-1536). On y recense près de mille poèmes, de 286 poètes différents.

C’est un poème d’amour déchirant, avec son insistance sur le mot tristes présent à six reprises — à raison parfois de deux dans le même vers — et avec, dans sa seconde partie, son rythme passionné scandé par l’adverbe tão (« si », dans le sens de « tellement »). La musique d’Alain Oulman l’exalte encore ; l’interprétation splendide d’Amália le sublime. Cet enregistrement, réalisé en novembre 1968 et peut-être destiné à l’album Com que voz dont il possède tous les traits — notamment la guitare portugaise de José Fontes Rocha qui lui confère un caractère de ballade de Coimbra, accompagnée par la seule guitare de Pedro Leal — a été laissé de côté pour n’être finalement publié qu’en 1989 dans une compilation de 8 CD réalisée à l’occasion des cinquante ans de carrière d’Amália.

Jusque là, la chanson Partindo-se était connue dans une version enregistrée en 1966 avec le Conjunto de guitarras (« l’Ensemble de guitares ») de Raúl Nery et qui, bien sûr, sonnait de ce fait plus lisboète, plus « fadiste ». Elle était parue en 1968, avec une autre chanson médiévale mise en musique par Alain Oulman, Nós, as meninhas, du troubadour Pero Viviães, sur un disque 45 tours intitulé Amália canta poesia medieval portuguesa (« Amália chante la poésie médiévale portugaise »).

Amália Rodrigues (1920-1999)Partindo-se. Poème de João Roiz de Castelo Branco ; Alain Oulman, musique.
Amália Rodrigues, chant ; Conjunto de guitarras de Raul Nery (Raul Nery & José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Castro Mota, guitare ; Joel Pina, basse acoustique).
Enregistrement : Portugal, Paço de Arcos (Lisbonne), studios Valentim de Carvalho, 1966.
Première publication : disque 45 t Amália canta poesia medieval portuguesa. Portugal, Columbia, ℗ 1968.

Fado Proença. 4. Carminho, Matilde Cid (et Mísia)

9 avril 2024

Fait suite à :

L’un des plus récents emplois du Fado Proença figure dans le second album de Matilde Cid, paru fin 2023 sous le titre très pessoien de Desassosego (« Intranquillité » ou « Inquiétude »). La chanteuse est l’autrice (moyennement inspirée, disons) des paroles de ce fado, Inesperado (« Inattendu »), qu’elle chante comme toujours avec un léger vibrato qui affecte sa voix par ailleurs assez chaude.

Matilde Cid (née en 1983)Inesperado. Matilde Cid, paroles ; Júlio Proença, musique (Fado Proença).
Matilde Cid, chant ; Bernardo Couto & Luís Guerreiro, guitare portugaise ; Bernardo Saldanha, guitare ; Francisco Gaspar, basse acoustique.
Extrait de l’album Desassosego / Matilde Cid. Portugal, Espelho de cultura, ℗ 2023.

Foi sem querer que eu te quis
É sem querer que me sorris
E me falas ao ouvido
Às vezes sem perguntar
O amor vem acordar
Um coração adormecido.

Je t’ai aimé sans le vouloir,
Sans le vouloir tu me souris
Et tu me parles à l’oreille.
Parfois sans qu’on le cherche,
L’amour vient réveiller
Un cœur endormi.
Não consigo ver quem sou
Nem sei bem p’ra onde vou
Meu amor ainda é cedo
Cantei, chorei, fugi
Foi assim que descobri
Não te quero só por medo.

Je ne sais pas bien qui je suis
Je ne sais pas bien où je vais.
Mon amour, il est encore tôt.
J’ai chanté, j’ai pleuré, j’ai fui.
Voilà comment j’ai découvert
Que mon amour n’est pas engendré par la peur.
Penso em ti a toda a hora
Penso em ti p’la noite fora
Não me acordem nunca mais
No meu sonho há liberdade
Não há ódio nem maldade
Quero ir p’ra onde vais.

Je pense à toi tout le jour,
Je pense à toi toute la nuit.
Ne me réveillez plus jamais.
Dans mon rêve, il y a la liberté,
Il n’y a ni haine ni malice,
Je veux aller là où tu vas.

Matilde Cid (née en 1983). Inesperado (2023). Matilde Cid (née en 1983). Inattendu, traduit de : Inesperado (2023) par L. & L.

J’ai beau me méfier de Carminho qui a tendance à surcharger son expression, parfois jusqu’à la grimace, je dois reconnaître que ce qu’elle a fait du Fado Proença dans son deuxième album (Alma, 2012) est d’excellente tenue. Elle est ici sa propre parolière ; le fado se nomme Folha (« Feuille »).

Carminho (née en 1984)Folha. Carminho, paroles ; Júlio Proença, musique (Fado Proença).
Carminho, chant ; Bernardo Couto, guitare portugaise ; Marino De Freitas, guitare.
Extrait de l’album Alma / Carminho. Portugal, Mundo records, ℗ 2012.

Folha maldita, obedeces
Às mãos que nem tu mereces
Às mentiras do poeta.
Toda a negrura dos traços
Descreveram mil abraços,
Histórias de uma porta aberta.

Feuille maudite, tu obéis
Aux mains que tu ne mérites pas,
Aux mensonges du poète.
Cette noire écriture, ces lettres,
Ont décrit mille étreintes,
Histoires d’une porte ouverte.
Só tu sabes, folha branca,
A arte de tornar estanque
Essa seiva da verdade.
Contou-me histórias de amor,
Esse pobre fingidor,
Fez-me crer que tem saudade.

Feuille blanche, toi seule connais
L’art de figer
La sève de la vérité.
Il m’a tant parlé d’amour,
Ce pauvre simulateur,
Que j’ai cru qu’il aimait encore.
E tu, oh folha rendida
À mão que na despedida
Diz adeus sem ter partido,
Vai dizer a toda a gente
Que finge o que deveras sente
O meu poeta perdido.

Et toi, feuille soumise
À la main qui prend congé
Tout en ne partant pas,
Va dire au monde entier
Qu’il feint ce qu’en fait il sent,
Mon poète perdu.

Carminho (née en 1984). Folha (2012). Carminho (née en 1984). Feuille, traduit de : Folha (2012) par L. & L.

Ici encore on croise en eaux pessoiennes, avec une claire référence à Autopsicografia (« Autopsychographie »), l’un des poèmes les plus connus de Pessoa, publié en 1932 dans la revue Presença sous son « orthonyme », selon le terme employé par les spécialistes du poète — c’est à dire : son propre nom, « Fernando Pessoa », et non l’un de ses hétéronymes.

O poeta é um fingidor.
Finge tão completamente
que chega a fingir que é dor
a dor que deveras sente.

Le poète sait l’art de feindre.
Il feint si complètement
Qu’il en vient à feindre qu’est douleur
La douleur qu’en fait il sent.
E os que lêem o que escreve,
na dor lida sentem bem,
não as duas que ele teve,
mas só a que eles não têm.

Et ceux qui lisent ses écrits
Dans la douleur lue sentent bien
Non les deux qu’il a connues,
Mais celle qu’ils n’éprouvent point.
E assim nas calhas de roda
gira, a entreter a razão,
esse comboio de corda
que se chama coração.

Et ainsi, en ses engrenages
Tourne, jouet de la raison,
Ce petit train mécanique
Qui de cœur a reçu le nom.

Fernando Pessoa (1888-1935). Autopsicografia (1er avril 1931 [écriture] ; 1932 [première publication]). Fernando Pessoa (1888-1935). Autopsychographie, traduit de : Autopsicografia (1er avril 1931 [écriture] ; 1932 [première publication]) par Armand Guibert.

Il se trouve que Mísia, dans son album Ruas de 2009, avait chanté Autopsicografia, non sur la musique du Fado Proença (à laquelle elle a eu recours, deux ans plus tard, pour Que o meu coração se cansou), mais sur celle du très beau Fado Meia-noite.

Mísia (née en 1955)Autopsicografia. Poème de Fernando Pessoa ; Filipe Pinto, musique (Fado Meia-noite).
Mísia, chant ; Ângelo Freire, guitare portugaise ; Carlos Manuel Proença, guitare ; Daniel Pinto, basse acoustique ; Luís Pacheco Cunha, violon ; Daniel Mille, accordéon.
Enregistrement : Paris, studio Acousti.
Extrait de l’album Ruas / Mísia. France, Universal music France, ℗ 2009.

Fado Proença. 3. Júlio Vieitas & António Pinto Basto

8 avril 2024

Fait suite à :

Não te quero perder (« Je ne veux pas te perdre »), interprété sur le Fado Proença par Júlio Vieitas (1915-1990) date de 1979, mais on lui donnerait des années-lumières de plus tant le style en paraît aujourd’hui suranné. Sans doute l’était-il déjà à l’époque : il est issu d’un album collectif, enregistré par six fadistes, six hommes, et publié sous le titre O fado da velha guarda (« Le fado de la vieille garde »). Júlio Vieitas, de même que Frutuoso França (1912-2000) et Gabino Ferreira (1922-2011), présents dans ce même album, étaient des chanteurs issus d’un circuit amateur ancré dans l’ancienne tradition fadiste et se sont peu produits dans les grandes maisons de fado lisboètes où on venait écouter Marceneiro, Hermínia, Lucília do Carmo et autres. Ils n’ont eu de ce fait qu’un accès limité, voire très limité, à l’édition discographique, de même qu’à la radio et à la télévision.

Júlio Vieitas (1915-1990)Não te quero perder. Júlio Vieitas, paroles ; Júlio Proença, musique (Fado Proença).
Júlio Vieitas, chant ; António Parreira & Armandino Maia, guitare portugaise ; José Maria de Carvalho, guitare ; Francisco Gonçalves, basse acoustique.
Extrait de l’album O fado da velha guarda / Frutuoso França, Gabino Ferreira, José Coelho et 3 autres. Portugal, Riso e ritmo discos, [1979?].

Andei perdido no cais
Nesse dia negro dia
Sem te ver na despedida
Entre gemidos e ais
O mar revolto bramia
Insultando a própria vida

Sur ce quai, en ce triste jour,
Je me sentais perdu,
Je te voyais à peine.
Entre pleurs et soupirs,
La mer mauvaise rugissait,
Comme insultant la vie.
Após a tua partida
Vagueei pela cidade
Quis esquecer-te e bebi
Quis dar novo rumo à vida
Mar era sempre a saudade
Que me falava de ti

Après ton départ
J’ai erré dans la ville.
Je voulais oublier. J’ai bu.
J’ai voulu refaire ma vie,
Mais toujours la « saudade »
Me reparlait de toi.
Há quem não pense nem veja
Há mesmo quem não suporte
Esta razão singular
Quando a gente se deseja
Há só um fim, só a morte
Nos consegue separar

Certains ne pensent ni ne voient,
Certains même ne peuvent endurer
Cette raison singulière :
Quand on s’aime vraiment,
Il n’y a qu’une fin : seule la mort
Peut nous séparer.
Perdi-te, fiz falsas juras
Partiste e por cá fiquei
Alguns anos sem te ver
Quero esquecer tais loucuras
Agora que te encontrei
Jamais te quero perder

Je t’ai perdue, j’ai été parjure,
Tu es partie, j’ai passé ici
Des années sans te voir.
Je veux oublier toutes mes folies.
Puisque je t’ai retrouvée
Je ne veux plus te perdre.

Júlio Vieitas (1915-1990). Não te quero perder. Júlio Vieitas (1915-1990). Je ne veux pas te perdre, traduit de : Não te quero perder par L. & L.

Le Fado Proença a connu nombre d’interprètes appartenant à toutes les générations de fadistes. António Pinto Basto (né en 1952), à la carrière un peu discontinue et à la discographie peu abondante, en a enregistré une version assez jolie quoique un peu appliquée, dans un album publié en 2007, Bodas de coral (« Noces de corail »). Elle vaut surtout par son poème, Aquela névoa (« Cette brume »), signé du dramaturge Tiago Torres da Silva (né en 1969), parolier à ses heures et collaborateur occasionnel de Mísia, Ricardo Ribeiro et d’autres.

António Pinto Basto (né en 1952)Aquela névoa. Tiago Torres da Silva, paroles ; Júlio Proença, musique (Fado Proença).
António Pinto Basto, chant ; instrumentistes non identifiés.
Extrait de l’album Bodas de coral / António Pinto Basto. Portugal, ℗ 2007.

Quem sabe se já morri
Ou se fiquei preso a ti
Numa praia, ainda à espera
Que, do denso nevoeiro
Possa inventar-se, em Janeiro
Um dia de Primavera

Qui sait si je suis mort,
Ou naufragé sur une plage,
Encore obsédé de toi, espérant
Que de cet épais brouillard
Puisse, en janvier, s’inventer
Une journée de printemps.
A tua saudade levo-a
Agarrada àquela névoa
Que nos deixa ficar sós
Eu, um rio à minha sorte
A correr cego e sem norte
Sem saber se tenho foz

Ton souvenir, je le porte
Accroché à cette brume
Qui nous permet d’être seuls,
Moi, un fleuve à l’aventure
Coulant aveugle et sans but,
Dans l’ignorance de son estuaire
E tu, que és só um adeus
Faz dos meus olhos os teus
Do meu, o teu coração
E diz-me, que eu não me lembro
Se posso ver em Dezembro
Um dia quente de Verão

Et toi qui n’es qu’un adieu.
Fais de mes yeux tes yeux,
De mon cœur ton cœur
Et dis-moi, car je l’ai oublié,
Si je peux voir en décembre
Une chaude journée d’été.

Tiago Torres da Silva (né en 1969). Aquela névoa. Tiago Torres da Silva (né en 1969). Cette brume, traduit de : Aquela névoa par L. & L.

Demain, ou après-demain ou plus tard, un dernier billet sur le Fado Proença consacré à deux fadistes d’aujourd’hui.

La chanson du dimanche [50]

7 avril 2024

La chanson de ce dimanche est une version française, interprétée par une Brésilienne, d’un ultra-célèbre succès italien de la fin des années 1950 : Nel blu dipinto di blu, connu aussi sous le titre Volare, de Domenico Modugno.

Leny Eversong (Hilda Campos Soares da Silva, 1920-1984)Dans le bleu du ciel bleu. Jacques Larue, paroles françaises ; Domenico Modugno, musique ; Pierre Dorsey, arrangement. Adaptation de Nel blu dipinto di blu ou Volare. Francesco Migliacci, paroles originales italiennes.
Leny Eversong, chant ; accompagnée par Pierre Dorsey et son grand orchestre.
France, ℗ 1958.

E ovviamente, vorremo ascoltare la strepitosa versione originale:

Domenico Modugno (1928-1994)Nel blu, dipinto di blu. Francesco Migliacci, paroles ; Domenico Modugno, musique ; Alberto Semprini, arrangement. Autre titre : Volare.
Domenico Modugno, chant ; Alberto Semprini e il suo Sestetto azzurro.
Italie, ℗ 1958.

Fado Proença. 2. Maria Teresa de Noronha • Caminhos sem fim

1 avril 2024

Fait suite à :

Maria Teresa de Noronha (1918-1993)Caminhos sem fim. Rita Mariano de Carvalho, paroles ; Júlio Proença, musique (Fado Proença).
Maria Teresa de Noronha ; Raúl Nery, guitare portugaise ; Joaquim do Vale, guitare.
Première publication : disque 45 t 17 cm Fado antigo / Maria Teresa de Noronha. Portugal, Decca, ℗ 1959.

Quantos caminhos cruzados
Estradas feitas em bocados
Vidas que Deus baralhou,
O nosso amor foi mais forte,
E lutando contra a morte,
Deus afinal nos juntou.

Combien de chemins croisés,
De routes réduites en pièces,
De vies que Dieu a brouillées !
Notre amour était le plus fort
Et, à force de lutter contre la mort,
Dieu nous a finalement réunis.
Juntámos o nosso amor,
Risos, desgostos e dor,
Sonhámos assim viver,
Do sonho à realidade,
Só nos separa a saudade
E o desejo de esquecer.

Réunissant notre amour,
Nos rires, nos chagrins, nos douleurs,
Nous avons rêvé de vivre ainsi,
Du rêve à la réalité,
Seuls nous séparent la saudade
Et le désir d’oublier.
Foi um minuto somente,
Que perdura eternamente
Dentro de ti e de mim.
Pode a vida separar-nos,
Pode a sorte abandonar-nos,
Este amor não terá fim.

Ce ne fut qu’une minute,
Mais elle vit pour toujours
En toi comme en moi.
La vie peut nous séparer,
La chance nous abandonner,
Cet amour ne finira pas.

Rita Mariano de Carvalho. Caminhos cruzados. Rita Mariano de Carvalho. Chemins croisés, traduit de : Caminhos cruzados par L. & L.

Les paroles n’ont guère d’intérêt et, de surcroît, ne sont pas très bien écrites, mais Maria Teresa de Noronha les chante avec une telle distinction et surtout avec quel art ! Un rubato millimétré, une agilité incomparable dans la conduite des nuances dynamiques : elle passe aisément, parfois au milieu d’un mot, même au milieu d’une syllabe, d’une nuance à une autre… Ces Caminhos sem fim sont un délice, dans lequel la magistrale guitare portugaise de Raul Nery a sa part. L’introduction instrumentale est très réussie — la suite aussi : chanteuse et guitaristes ont les mêmes qualités de délicatesse et forment ensemble un beau trio concertant.

La chanson du dimanche [49]

31 mars 2024

« Baignade interdite ». Toulouse (Occitanie, France), 29 mars 2024
« Baignade interdite ». Toulouse (Occitanie, France), 29 mars 2024

.

.

Debout sur le zincN comme Nicolas. Boris Vian, paroles ; musique traditionnelle (« En passant par la Lorraine ») ; Debout sur le zinc, arrangement.
Debout sur le zinc, ensemble instrumental et vocal.
Extrait de l’album L’Abécédaire de Boris Vian et Lucienne Vernay / Debout sur le zinc. France, DSLZ, ℗ 2023.

Nicolas a fait naufrage
Va-t’il se noyer ?
Non, non, non, Nicolas nage,
On voit son nez qui surnage, oh, oh, oh,
Le pauvre nigaud !

Boris Vian (1920-1959). N comme Nicolas, extrait de Abécédaire musical à l’usage des enfants et des personnes qui téléphonent (1957).